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Le transport à la demande, un service public indispensable à certains dans les territoires ruraux : « Sans ça, on ne pourrait pas bouger »
Par Camille Bordenet (Cohons, Langres, Saint-Ciergues (Haute-Marne), envoyée spéciale) Publié hier à 04h30, modifié hier à 10h18
Reportage
A mi-chemin entre le bus et le taxi, ce mode de transport public ouvert à tous s’avère essentiel à des personnes isolées et non véhiculées dans les territoires enclavés où ne passent pas de bus. Reportage dans le pays de Langres.
Patricia Maire, 54 ans, est fin prête lorsque le chauffeur, Christian Begrand, se gare devant son pas de porte, dans le village haut perché de Saint-Ciergues (Haute-Marne), en surplomb du lac de la Mouche. Dans le monospace siglé « Prêt à partir » se trouve déjà assise sa copine Françoise Gauthier, dite « Fanfan », 76 ans, prise en charge dans un village en contrebas, avec son chariot de courses, sa canne et son ordinateur. En route pour le centre-bourg de Langres, en ce mercredi 8 novembre, « la ville », située à une dizaine de kilomètres.
Toutes deux ont réservé leur trajet la veille, par téléphone, comme une vingtaine d’autres passagers pris en charge au même moment aux quatre coins du territoire. Patricia se fait déposer à la maison de santé pour le kiné, « Fanfan » au Leclerc pour les courses, mais surtout
« pour faire de l’Internet ». D’autres jours, c’est au marché, à la banque, à un guichet de service public. Coût de la course : 2,5 euros. Dix kilomètres, ça ne paraît pas granc-chose quand on a une voiture. Mais quand on vit « au bout du bout » et qu’on n’a pas le permis,
« alors là, c’est une autre paire de manches ! C’est bien simple, dit Patricia, sans ça, on ne pourrait pas bouger. Ça nous relie à la vie ».
« Ça », ce n’est ni un taxi ni un bus. C’est le transport à la demande (TAD). Ici, on l’appelle Linggo – en référence au peuple nomade des Lingons. Ailleurs, c’est Tadou (Doubs central), Colibri (Terres touloises) ou Tadi Lib’ (Bretagne porte de Loire). Autant de noms, de territoires et de modalités pour désigner un transport public de proximité assez ancien dans le paysage de la mobilité, mais qui continue de se développer.
Ouvert à tout public, en pratique, il permet surtout aux personnes non véhiculées de se déplacer à tarif modique, là où des bus ne circulent pas forcément, ou pour combler les heures creuses. « Si on en trouve dans les agglomérations, le TAD est particulièrement adapté aux zones peu denses, lesquelles sont, par définition, plus difficiles à desservir par des bus, puisque la demande est faible et diffuse. Ça permet aux collectivités d’offrir une desserte minimale et de se conformer au droit au transport », estime Elodie Castex, professeure à
l’université de Lille, au laboratoire Territoires, villes, environnement et société.
Il y a quinze ans, en effet, les élus du pays de Langres cherchaient une solution de
remplacement aux quinze bus qui roulaient alors à vide, car inadaptés aux besoins d’une
population vieillissante : arrêts trop éloignés, dessertes irrégulières… Mais pas question de laisser les personnes au bord de la route. « Ici, on a environ deux fois moins d’habitants que le 10e arrondissement de Paris, mais un territoire 800 fois plus grand, avec moins de
20 habitants au kilomètre carré », résume Didier Riquet, coordinateur mobilité au pôle
d’équilibre territorial et rural du Pays de Langres. Les élus de l’époque se sont inspirés du système de TAD déjà mis en place dans le Doubs central, qui fait figure de référence.
« Une volonté politique »
Plus souple et plus modulable qu’un système de bus, moins onéreuse et moins polluante, cette solution n’en demeure pas moins coûteuse pour les collectivités. « Ça repose sur une volonté politique des élus locaux », note Didier Riquet. Si le Pays de Langres bénéficie du soutien de sa région (Grand-Est), ce n’est pas le cas partout. Car si la dernière grande loi mobilité de 2019 a contribué à relancer l’intérêt pour le TAD et d’autres transports alternatifs à la voiture individuelle, elle a aussi rebattu les cartes en matière de compétence mobilité. Un tour de la presse locale suffit à constater la diversité de situations : du côté du Pays fléchois (Sarthe), on salue une offre de TAD « victime de son succès », quand du côté de Dampierre-sur-Salon (Haute-Saône), on y met fin car « pas assez utilisé et trop coûteux ».
Pour ceux qui, comme Patricia Maire, se trouvent « assignés à résidence », le service s’avère
« indispensable ». Voilà huit ans que la quinquagénaire compte dessus pour tous ses trajets : courses, rendez-vous administratifs et médicaux, mais aussi pour rejoindre la gare TER, qui lui permet de rendre visite à son fils. Auparavant, elle vivait en centre-ville de Dijon, où elle travaillait dans la restauration. « Pas besoin du permis », dit-elle. Puis une série de déveines : la mort de sa mère, la maison de famille à Saint-Ciergues qui ne trouve pas d’acheteur, « des opérations à tire-larigot à cause du boulot ». « Quand j’ai décidé de venir m’installer ici, je pensais m’en sortir avec un scooter ou une voiture sans permis. C’est le maire qui m’a parlé du TAD. »
Celui-ci circule trois demi-journées par semaine pour le « rabattement » vers Langres, plus certains jours pour le « rabattement » vers des bourgs intermédiaires ; et tous les jours pour la gare. En tout, plus de 7 500 trajets sont réservés chaque année – davantage avant le Covid-19.
« Il suffit de regrouper ses rendez-vous, ça ne coûte que 5 euros l’aller-retour, rendez-vous compte ! Contre 70 euros en taxi ! », précise Patricia Maire. Une somme qu’il lui serait
impossible de débourser, elle qui vit avec l’allocation de solidarité spécifique. « Surtout, ça permet de ne pas avoir à embêter les voisins, de ne pas dépendre. »
Quand elle appelle pour réserver son trajet, Patricia tombe sur Ophélie ou Erika, qui connaissent les cent soixante-huit communes sur le bout des doigts, aussi bien que les « petits tracas » des habitués. Une hyperproximité qui permet de faire évoluer le service au plus près des besoins, estime Didier Riquet, le coordinateur. Lui se charge d’optimiser les trajets en fonction du nombre de réservations, de choisir des véhicules adaptés, en faisant appel à plusieurs transporteurs locaux. Patricia apprécie aussi les coups de main de Christian Begrand, qui lui porte sa bouteille de gaz.
A force de trajets, des liens se créent. Disons même des amitiés. Il n’y a qu’à voir la joyeuse bande de veuves qui se retrouve ce mercredi à la brasserie des Noisetiers, dans la galerie marchande du Leclerc. Elles sont quatre. Aucune n’a le permis ; la voiture, c’était l’affaire des maris. Elles vivent dans des villages à plusieurs kilomètres les unes des autres et « montent » ensemble jusqu’à Langres. « Sans le taxi-bus, on ne se serait jamais connues ! », s’exclame
Suzanne Donnot, la pimpante doyenne de 103 ans. Elle le dit « tout net : s’il n’y avait pas le taxi-bus, je serais déjà morte ! ». Les courses expédiées, elles taillent une bavette autour d’un diabolo menthe et grattent des Solitaires. Le vendredi, c’est coiffeur, pédicure, médecin. « On s’échange des tas de trucs, des pommes, de la couture. » Attablée plus loin devant son ordinateur, « Fanfan » profite de la connexion Internet pour remonter son arbre généalogique,
« dans [son] village, ça capte tous les 36 du mois ».
A 16 h 15 sonnantes, Christian Begrand marque l’arrêt dans le village de Cohons. Cette fois- ci monte Christophe Naït-Slimani, 40 ans, qui travaille ici en chantier d’insertion. « Le
travail, maintenant, c’est bon. C’est la mobilité qui me coince encore », confie-t-il. En attendant d’obtenir un prêt pour acheter une voiture, il loue parfois un scooter au garage solidaire de Langres. « Ça dépanne. Sans ces solutions, on serait un peu morts. »
« Sans le TAD, je ne vois pas comment j’aurais fait », abonde Manon Eckel, 23 ans, qui navigue chaque semaine entre son école de design, à Paris, et son stage chez un designer, dans un village isolé du Pays de Langres. Elle débourse 4 euros pour le trajet depuis la gare,
« contre 100 euros en taxi ». « Et puis ça peut encourager les citadins à aller travailler à la campagne », croit-elle. Le « rabattage » depuis et vers la gare trouve, là encore, un autre public : « On peut avoir des touristes qui font TER + vélo + TAD, des Parisiens sans permis qui rendent visite à leur famille », cite Didier Riquet.
De là à voir dans le TAD une possible alternative à la voiture individuelle, le spécialiste serait moins optimiste, constatant que la communication ne suffit pas à élargir le public cible :
« Tant que les gens ont une voiture, ils ne retiennent pas que ça existe. » Ce service de
mobilité ponctuelle n’est pas non plus pensé pour des trajets domicile-travail. « Il faut le voir comme un outil parmi les autres services proposés : plate-forme de covoiturage, garage solidaire mettant à disposition des deux-roues et des voitures… » D’autres territoires ruraux expérimentent aussi l’autopartage, des voitures en libre-service.
Autant de solutions « du premier et du dernier kilomètre » que le gouvernement entend accompagner avec la création d’un fonds mobilités rurales, qui devrait voir le jour début 2024 (9 millions d’euros sur trois ans). Une mesure qui s’inscrit dans le plan France Ruralités présenté en juin. Sur la route du retour au village, dans la lumière barbe à papa du crépuscule,
Patricia Maire l’assure : « Si ce service s’éteignait, il y aurait des pleurs dans les chaumières. »
Camille Bordenet Cohons, Langres, Saint-Ciergues (Haute-Marne), envoyée spéciale